Dans le cadre de mes jours toujours moins cyniques, je tente de donner un sens à mon existence immédiate.
Grosso modo, je travaille dans un bureau stéréotypé sur plusieurs plans.
Comment aborder le bureau? J’y ai longuement songé, puisque j’ai un peu envie d’être juste, mais aussi de complaire mes lecteurs dans les tragédies du quotidien typiquement 9 à 5. Ce qui ressort de mes réflexions est que cet univers est trop vaste pour le décrier en un simple article. Voici donc une petite introduction en douceur pour les chroniques à venir.
Mon emploi actuel me désigne un bureau, faisant parti intégrante d’une cage de six personnes. Oui, une cage, c’est bien le terme utilisé.
Pourquoi? Sans en être totalement sûre, mon intuition me dit que c’est parce qu’anciennement, en finance du moins, les gens travaillaient dans des voûtes où étaient entreposés des milliers de valeurs physiques.
Les valeurs physiques n’étaient pas immatriculées, à l’époque, aux noms de particuliers. Elles étaient toutes au nom de la compagnie qui agissait comme agent de transfert et ladite compagnie vendait les valeurs en autorisant un legs à un porteur. C’est-à-dire que des valeurs (actions, bons, etc.) étaient comme des chèques endossés: si t’en trouves un à terre, tu t’le mets dans les poches.
Il faut comprendre de ce concept que les gens travaillaient dans les voûtes ou dans le backoffice (ceux faisant les opérations financières) étaient largement surveillés parce que n’importe qui pouvait encaisser les valeurs si elles étaient «endossées». Leurs allées et venues dans les voûtes et les bureaux étant contrôlées, c’est à ce moment que le terme de cage s’est répandu.
Les personnes avec qui je travaille, dans ma cage, ont toutes entre cinquante et soixante ans.
– Eille, la petite comment t’aimes ça, travailler avec le club de l’âge d’or?
– Bin voyons, vous êtes tous bien trop fringants pour faire parti du club de l’âge d’or! Mais oui, oui j’aime ça travailler avec vous autres.
Ça c’est ce que je leur ai dit. Et c’est ce que j’aurais dû dire à tout le monde.
Il faut savoir que la population de l’étage de l’édifice dans lequel je travaille varie entre 21 et 65 ans. La majorité a entre 28 et 38 ans, fin génération X, début génération Y, souvent en désaccord entres-elles, mais certainement en coalition contre les baby-boomers. Le monde de la finance a changé en tout point, l’apport technologique continue encore de façonner les structures d’échange et pour les reliques qui sont toujours en poste, il faut rappeler qu’on n’était pas encore allé sur la lune à leur naissance.
Faque mettons que mon club de l’âge d’or fait jaser.
Je travaille là-bas de manière occasionnelle depuis 2008, et pour quelques raisons X, que je vous épargne, mon parcours de vie a fait que je connais beaucoup de gens là-bas depuis que je suis très jeune. On se connaît, je parle à tout le monde, tout le monde me parle.
Et donc, depuis que j’occupe mon poste actuel, quelques dizaines de personnes me demandent comment j’aime ça travailler avec eux, les vieux séniles. J’ai eu toutes les remarques les plus bizarres et les sous-entendus les plus disgracieux à leur égard… mais c’est vrai que je ne sais pas combien de fois par jour j’entends les mêmes mimiques verbales…
– Coudons, j’ai tu pesé sur imprimer?
– Bon ça y est, mon ordi fait des freegames.
– Quand j’étais jeune..
– J’ai mal à … (pied, cou, dos, tête, main, etc.)
– Où s’est que j’ai mis mon/ma… (crayon, étampe, doigt de caoutchouc, note, pad, dossier, feuille, etc.)
– Y en aura pas de facile!
– Ah oui… Bin coudons, hein?
Je fais ici mon Mea Culpa. Je les ai trahis, mes petits vieux, parce que je ne voulais pas contrarier mes interlocuteurs plus jeunes, parce qu’il faut entretenir de bons rapports sociaux, parce que pleins de raisons de marde qui ont fait que j’aurais du les défendre un peu au lieu de sous-entendre que ça pourrait être pire, qu’ils pourraient être bien plus séniles que ça…
Dans un bureau il y a beaucoup de langues sales, des vipères, des backstabbeurs, des stool, des filles qui sucent le boss pour avoir une augmentation, des gars qui ont le nez brun, la clique des fumeux de clopes, la clique des grosses, la clique des tripeux de maladies, la clique des costards, les cliques des sports, celles qui s’échangent des livres, ceux qui vont chez Tims, ceux qui vont chez McDo, ceux qui vont chez Second Cup, ceux qui se voient en dehors du bureau, pis ceux qui s’haïssent.
Ce que j’aime de mon club de l’âge d’or c’est qu’ils s’en foutent d’impressionner les autres. Ils ont vécu ET vivent. Ce sont des personnalités définies, à ne surtout pas confondre avec bornées. Ils sont de même, mais ils acceptent pas mal tout le monde. Apparence impeccable, jamais là pour juger, avec un parcours de choix tellement variés et compliqués. Loyaux et attentionnés, les membres du club de l’âge d’or s’inquiètent pour les autres, supportent en toute occasion, s’échangent des collations, partagent les mêmes rêves de loteries et se taquinent toute la journée.
Il parait que le QI de l’humain ne change pas durant toute sa vie, mais que les valeurs mesurées dans le QI le font. Les jeunes sont plus rapides, les vieux plus lents. Les jeunes sont plus spontanés, les vieux font moins d’erreurs, leur jugement étant plus affuté et leur capacité d’analyse de possibilités multiples plus développée.
C’est vrai que leur lenteur m’irrite parfois, mais ils me coincent toujours parce qu’ils savent tout. Le concept général est là, la vue d’ensemble, la sagesse du manuel total.
J’espère que vous suivrez mes chroniques du bureau, un mélange de réalisme cynique avec quelques notions historiques ou théoriques parce qu’après tout, j’ai failli devenir prof d’histoire…